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L'enfance de Mariane

5 cycles. Elle était encore qu’une enfant, la petite Mariane. Le dernier de la famille était né. Sa mère n’allait pas bien, disait-on. Mais la jeune fille, tout comme son aîné, n’avait le droit d’aller la voir. Le précepteur était au domaine familial, comme tous les jours. L’enfant écoutait d’une oreille distraite. Elle était inquiète. L’aîné tentait tant bien que mal de la rappeler discrètement à l’ordre. Ils savaient tous que Laurian d’Eregon n’était pas du genre à se laisser attendrir et aucune excuse ne serait assez bonne pour justifier un relâchement dans leur éducation. Mais en vain, l’enfant avait la tête ailleurs.
Qui plus est, le travail demandé à la fillette lui semblait beaucoup trop difficile. Elle apprenait tout juste à lire et elle devait retranscrire et comprendre un texte des Saintes Écritures. Elle arrivait tout juste à déchiffrer les symboles, les mots et encore, au prix d’une énorme concentration. Et voilà qu’elle devait en plus comprendre un texte qui n’était pas écrit en des termes accessibles à la compréhension d’un enfant de 5 cycles! Et elle avait la tête ailleurs. Elle tournait souvent les yeux vers la porte de la salle d’étude, comme si elle allait y voir surgir sa mère, comme par magie… ou à tout le moins un prêtre qui leur donnerait des nouvelles sur son état. Mais en vain.


«Mademoiselle, retournez à vos leçons, je vous prie. Sire votre père ne me paie pas pour que vous rêvassiez.»


Elle baissa à nouveau les yeux sur le livre. Mais cela ne servait à rien. Lorsque le précepteur l’interrogea, elle fut incapable de répondre à ses questions. Mais la journée s’achevait. Elle allait être libérée de ces tâches astringentes et pourrait retourner vaquer à des occupations de fillette.
Un claquement de porte, des voix. Sire d’Eregon était revenu. Il remit sa cape et ses armes à un domestique et, fidèle à l’habitude, chemina directement vers la salle d’étude, où il prit nouvelle sur l’éducation de ses enfants. Le précepteur lui fit état de la journée et ajouta :


«Je crains que mademoiselle Mariane ait négligé son travail aujourd’hui. Il faudra certainement redoubler d’ardeur demain.»

Le père lança un regard à sa cadette qui se faisait petite sur sa chaise, tentant d’échapper à ces yeux inquisiteurs. Elle baissa la tête, embarassée.

«Bien, je vous remercie Narcisse. Vous pouvez disposer.»

Le précepteur s’inclina respectueusement et s’en fût, sans plus un mot. L’enfant n’osait pas bouger. Le père s’avança donc et s’adressa à la jeune fille d’une voix autoritaire.

«Il ne sert à rien de t’apitoyer sur ton sort. Tu as négligé ton éducation aujourd’hui. Tu continueras donc le travail ce soir. N’espère rien tant que tu n’auras pas appris ce que le précepteur t’a enseigné aujourd’hui.»

L’enfant releva légèrement les yeux, ne croisant que le regard froid de son père. Elle osa cependant poser la question qui lui brûlait les lèvres.

«Comment va maman? Est-ce qu’elle va mourir?»

Le père la toisa plus sévèrement et répliqua d’un ton sec.

«Cela n’est pas de notre ressort et ne t’exempte surtout pas de faire preuve de politesse envers ton père et de travailler correctement. Sache que si le Juste la rappelle à Lui, c’est qu’Il a Ses raisons et nous ne pouvons les remettre en cause. Mais si tu avais étudié tes leçons aujourd’hui, peut-être que je ne serais pas obligé de t’apprendre cela. Retourne travailler et reviens me voir que lorsque tu sauras me prouver que tu les auras apprises!»

L’enfant se repencha sur son livre d’un air contrit. Le ton autoritaire et sans réplique de son père ne lui permettait rien d’autre et l’effrayait même. Un morceau de parchemin devant elle, elle reprit la plume noire et recommença à griffonner des mots d’une main malhabile. Son père se retourna finalement et quitta la pièce d’un pas lourd. Un léger soupir s’échappa des lèvres de la fillette, à la fois soulagée que l’homme soit parti et affligée de devoir s’emmurer dans cette pièce jusqu’à ce qu’elle ait mémorisé ce texte indigeste. Mais puisqu’elle n’aurait le droit de sortir de cette pièce, donc de manger, tant qu’elle ne l’aurait appris, aussi bien s’y astreindre aussitôt que possible.

Les heures passèrent. Mariane avait du mal à se concentrer, mais elle avançait peu à peu. Du corridor, on pouvait entendre sa petite voix murmurer, répéter doucement les écrits qu’elle avait retranscrit. Finalement, elle alla retrouver son père qui relisait quelques missives dans son bureau. Il leva les yeux vers elle lorsqu’elle apparut dans l’embrasure de la porte. Son regard était sévère.


«Alors?»

L’enfant déglutit et commença à réciter.

Keldar est ma force, il est mon salut,
De lui vient ma victoire, les ténèbres pour mes ennemis.
J’étais perdue, je traînais à terre, mais il m’a relevée
Il m’a portée à travers les nuées,
Il a brisé les chaînes qui m’enserraient
Et m’a élevée au-dessus des hommes.
Par mon bras, il a fait trembler la terre,
Par ma voix, il a soumis les peuples.
Ceux qui me faisaient face, il les a brisés,
Il a dispersé leur force tandis qu’ils se regroupaient,
Il a fait fuir leurs armées.

Keldar est mon chant, il est ma louange
Bénis le Roi des rois ô mon âme, bénis son nom très saint
Que les trompettes partout sonnent Sa gloire.
Il vient dans toute Sa splendeur, et rassemble les hommes.
Les justes, il les place à Sa droite,
Les impurs, il les rejete au loin.
Il comble les faibles de ses bienfaits et protège les petits.
Les puissants ne sont que poussière devant sa face,
Et les rois que miséreux.
Bénis Keldar ô mon âme, bénis le sans fin.


Le regard du père n'avait dérogé de sa sévérité tout au long que l'enfant récitait la prière. Il lui dit finalement :

«Très bien, ça ira pour aujourd’hui, mais ne me déçois pas demain.»

Voyant sa fille s’éclipser rapidement, il ajouta un peu plus fort.

«Rien ne sert de demander de la nourriture aux domestiques, je leur ai donné l’ordre de ne rien te donner. Tu réfléchiras à ton comportement de ce soir et veillera à ne pas le répéter.»

L’enfant s’arrêta net et laissa s’échapper une protestation.

«Mais…»

«Il n’y a pas de «mais» qui tienne! File dans ta chambre avant que je ne trouve punition adaptée à ton nouvel affront!»


Le ton était cassant. La fillette ne se le fit pas dire deux fois et déguerpit sans plus un mot, le ventre creux, fâchée et inquiète. Mais quel pouvoir avait une enfant contre son père?